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— recherches autour de la notion de paysages

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POUR/ EASA (European Architecture Student Assembly)
LIEU/ Villars-sur-Ollon
DATE/ 07/2019
EN COLLABORATION AVEC/ Yann Salzmann




Depuis l’invention de la notion de paysage à la Renaissance, les concepts qu’il englobe se sont épaissis. Durant plus de trois siècles, il a été défini comme « étendue d’un pays que l’on voit d’un seul aspect ». (1) Cette notion semblait donc, du moins en Occident, intrinsèquement liée au champ visuel ; elle s’est récemment étendue à d’autres modes de perception et de représentation. Désormais, « le paysage doit être pensé autrement qu’abandonné à la seule esthétique de la contemplation »(2). En d’autres termes, la perception classique basée sur une contemplation passive a laissé place à la possibilité de s’inclure dans le paysage par l’action critique. Cette opportunité d’inclusion dans le paysage place et questionne l’être, toujours de manière subjective, mais désormais dans un jeu dialectique entre l’esprit et le corps, la solitude et la communauté, l’inaction et le mouvement.

La notion de limite nous donne les structures essentielles du paysage, structures à la fois sémantiques, théoriques et pratiques. Déjà le cadre du tableau « m’est une sorte d’annonce, qui présente la peinture comme telle, qui la sépare » disait Alain (3). Le cadrage permet de limiter l’expansion de la scène et simplifie la compréhension des rapports internes, encourageant « la concrétisation du lien entre les différents éléments et valeurs d’une culture, liaisons qui offrent un agencement, un ordonnancement, et finalement un ordre pour la perception du monde »(4). Est-ce à partir de cet artefact pris dans sa valeur symbolique que peut se construire une pensée du paysage? Selon Michel Collot, le paysage prendrait place précisément « entre le limité et l’illimité», là ou le cadre et les horizons – internes et externes – arrêtent l’étendue de notre regard.



  
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Le paysage doit passer par la représentation et l’éloigne ainsi d’autres notions telles que celle d’espace, d’environnement, de milieu, de site ou de territoire. Mais notre recherche, sans se soustraire aux potentiels liés à la perception, s’est ouverte à la question de l’espace construit comme moyen d’action et d’interaction sur, avec et dans le paysage. En effet, distinction et isolement existent de fait sur le terrain: les jardins s’organisent à partir de leur isolement, de leurs murs d’enceinte, de ces « cordons » dont parle Michel Serres ; de même l’architecture trouve son origine par le mur qui la constitue, suivant l’établissement d’une distinction – plus ou moins nette – entre un dedans et un dehors.

De la même manière qu’une « perception fédératrice » avait su créer le paysage classique, les séparations physiques qui composent le territoire, qu’elles soient naturelles ou issues de l’action humaine sont des limites qui nous ont offert l’occasion de construire une « action fédératrice ». L’action dans le paysage s’est traduite par la conception d’éléments destinés à être installés in situ mais aussi déplacés, soutenant la possibilité d’une occupation nomade de l’espace. La mobilité des installations sur le terrain, comme leur fixité, se répondent: c’est autant un moyen qu’une fin, un chemin qu’une étape. Les installations offrent peut-être un point de vue sur un site, un événement particulier, mais créer aussi une situation singulière du seul fait de leur déplacement.



  
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C’est pour cette raison que toutes les constructions, dans leur essence, comportent deux « vitesses » : leur raison d’être immobile, inspirée par un lieu spécifique, et un système de portage destiné à transposer cette origine ailleurs. Ce sont des installations qui, partant d’un lieu, s’engagent à constuire un dialogue avec d’autres lieux. Ces relocalisations – ou reterritorialisations – permettent d’explorer un paysage toujours nouveau et de se confronter au terrain de plusieurs manières. Ce qui est lié à l’environnement, au site, est davantage écrit par l’acte que par la projection; c’est un savoir-faire au service d’un savoir-voir. En ce sens que certains projets ont pu s’inspirer de traditions liées au territoire alpin, autant ancestrales que contemporaines. Au bois taillé et assemblé selon des techniques rurales vieilles de plusieurs siècles, viennent s’ajouter des accessoires issus des pratiques contemporaines de la montagne, sportives ou militaires. L’aspect spectaculaire du paysage est aussi mis à l’épreuve.

Alors que dans les représentations picturales d’une nature immense, le corps humain ne servait que d’étalon pour prouver la démesure naturelle; le corps, si petit soit-il, peut être aujourd’hui le vecteur d’une pensée manifeste et engagée. C’est le corps, et non-plus uniquement l’oeil, qui désormais peut transporter et intégrer des paysages, et ainsi offrir l’occasion d’un dialogue entre l’intériorité et l’extériorité, l’individu percevant et l’espace perçu.



  
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(1) Sébastien Baudoin, Poétique du paysage dans l’œuvre de Chateaubriand, p.15
(2) Alain Corbin, L’homme et le paysage, p.6
(3) Alain, Propos sur la nature, p.124
(4) Anne Cauquelin, L’invention du paysage, p.6


IMAGES
1 Caspar Wolf, Der Rohnegletscher, 1778
2 Alberti, Window, Grid, 1435
3 René Magritte, La Clef des Champs, 1936
4 Richard Barnes, Single Ungulate and Man Amid Blue Crosses, 2008
5 Major Martti Aho interrogates a camouflaged Soviet prisoner, Finnish Army Pictures, 1941
6 Franz Herald Walther, Kreuz Bewegungsraum,1967
VIGNETTE Télesiège biplace de la Croix Morand, 1963





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